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Sous-sections

14. Conclusion générale

Les sous-unités composant les nAChRs forment une famille multigénique. Leurs assemblages préférentiels et leur physiologie ont parfois introduit des clivages entre sous-groupes de sous-unités. Dans mon travail de thèse, j'ai cherché à rétablir l'intégrité de ce concept de famille. Tant dans les études moléculaires des sous-unités que dans les études fonctionnelles des récepteurs, la prise en compte constante de ce facteur permet de mieux comprendre les phénomènes observés.

Il est important de préciser que le but poursuivi dans les travaux des chapitres 9 et 10 n'est absolument pas l'innovation algorithmique. De nombreux chercheurs en bio-informatique font ça bien plus efficacement que moi. En revanche, entre ces informaticiens, qui vont développer des outils performants sans applications particulières et le biologiste «expérimental», qui, par manque d'information, va utiliser pour ses analyses le premier programme disponible, même obsolète et trompeur, une place est vacante. J'entends remplir cette fonction. Par ma connaissance à la fois du substratum biologique ET des algorithmes existant, je suis à même de déterminer ceux d'entre eux qui sont pertinents pour résoudre un problème biologique donné.

14.1 La phylogénie et la pensée populationnelle

L'étude des phylogénies dans les familles multigéniques est très importante et son impact va plus loin que la reconstruction simple de l'histoire évolutive des gènes. Elle remplace la réflexion typologique par une réflexion populationnelle, et ce, à deux niveaux. D'une part («horizontalement» si l'on considère un alignement multiple standard), les méthodes de phylogénie moléculaire, quelles qu'elles soient, prennent en compte tous les résidus des protéines homologues. Elles ne considèrent pas seulement ceux que l'on suppose «importants» (quoi que cet adjectif signifie) à un instant donné de la recherche. Les relations qu'elles mettent en valeurs sont de ce fait résistantes au temps et à l'avancement des découvertes. D'autre part («verticalement»), par l'analyse en quelque sorte statistique des différentes séquences, la phylogénie est un filtre triant la variabilité significative de l'accessoire.

Ce type de réflexion s'étend plus largement que l'analyse des seules séquences. Si l'on considère la fonction, une analyse prenant en compte tous les paramètres pharmacologiques sera toujours plus efficace qu'une autre ne s'appuyant que sur tel ou tel critère (p. ex. sensibilité à un antagoniste), considéré comme primordial.

L'étude de la phylogénie des sous-unités du nAChR que j'ai menée a eu des conséquences importantes sur ma façon -- et j'espère que cet effet atteint quelques autres personnes -- d'appréhender la famille tant sur le plan des séquences que sur le plan fonctionnel. L'arborescence globale a définitivement invalidé la classification neuronal / musculaire, en démontrant que le premier groupe est polyphylétique. Elle a également mis en évidence la congruence des sous-familles de sous-unités définies par la séquence ou par l'assemblage. Au sein des sous-familles, le regroupement des sous-unités ayant la même «fonction» au sein de l'oligomère renforce encore cette relation structure-fonction. Certaines prédictions ont ainsi pu être faites, validées expérimentalement par la suite. $\alpha $5 n'est pas une sous-unité «$\alpha $» [262,338], en revanche $\alpha $6 en est bien une [130,116]. $\beta $3, comme $\alpha $5 appartiendrait à un troisième type de sous-unité, différent des $\alpha $2,3,4,6 et $\beta $2,4 classiques [266].

14.2 La structure secondaire, une prédiction réaliste

Dans les années 70s, le nombre de structures protéiques connues devint suffisamment important pour en tirer des informations statistiques, utilisables dans des algorithmes de prédiction.

Dès que les premières séquences de sous-unité du nAChR furent connues, ces algorithmes de prédiction de structure secondaire leur furent appliqués [105]. Malheureusement, la faible efficacité prédictive atteinte à l'époque ( $\approx $50 %) rendait les résultats très suspects.

La situation a radicalement changé depuis. D'une part, les possibilités de calcul ont explosé, tant par le progrès informatique que par la multiplication des structures protéiques résolues. D'autre part, des progrès conceptuels ont changé les algorithmes de prédiction. L'utilisation de systèmes sans règles de prédiction, comme les nearest-neighbors, ou bien apprenant ces règles sans les expliciter, comme les réseaux de neurones formels, a permis de franchir la barre des 60 %. Enfin, l'utilisation des alignements multiples, rendue possible par l'accroissement du nombre de séquences connues14.1, a permis de franchir les 70 %, le maximum actuel se situant aux alentour de 75 %. Ces valeurs sont des moyennes par résidu, ce qui masque le fait que les extrémités des structures sont très mal prédites mais que leur centre est très bien prédit. En fait les prédictions de l'existence des segments structurés atteignent parfois les 90 %, ce qui est considéré comme un maximum théorique.

Curieusement, le monde de la recherche sur le nAChR et sa superfamille est passé complètement à côté de ces améliorations. Les quelques études qui furent publiées récemment utilisaient des algorithmes obsolètes.

Le chapitre 10 présente une prédiction de structure secondaire établie à l'aide des programmes les plus récents (ils ont tous été écrit entre 1993 et 1996). Cette prédiction, quoique partiellement exacte, est ce qu'on peut obtenir de meilleur. Si l'on excepte les segments transmembranaires, il est peu probable que l'on puisse l'améliorer dans le futur par des moyens informatiques (voir les discussions dans [278,282]).

En revanche, cette structure secondaire prédite peut être utilisée comme point de départ dans certaines méthodes de fold recognition (comme celles décrites dans [279,283,89]). D'autre part, elle peut servir de test de validation pour les gabarits obtenus par d'autres méthodes de fold recognition. En effet, un modèle de repliement ne sera valable que s'il possède une structure secondaire globalement cohérente avec notre prédiction.

Finalement, une telle prédiction possède une vertu heuristique certaine en ce qui concerne les travaux de mutagénèse au sens large. Le fait d'avoir une idée précise de la structure secondaire peut faciliter l'établissement de chimères entre protéines homologues. Une telle chimère a plus de chance de réussir si le point de recombinaison se trouve entre deux résidus homologues situés dans un élément de structure périodique, car il n'y aura probablement pas de bouleversement de la structure (De fait la chimère décrite dans [95] est réalisée dans E11). La génération d'un fragment soluble peut également en être facilitée, le point de clivage devant conserver, autant que faire se peut la structure tertiaire, et donc se trouver en dehors des segments en structure périodique.

14.3 La sous-unité $\alpha $6, une sous-unité du nAChR à part entière

Quand je me suis pour la première fois intéressé à la sous-unité $\alpha $6, dans le cadre de mes investigations phylogénétiques, les seules mentions14.2 de son existence étaient un abstract publié dans les comptes-rendus du congrès des neurosciences américaines de 1990 [180], ainsi qu'un fichier de séquence dans Genbank. Les choses ont peu évolué depuis. On trouve toujours de nombreux articles, où, après avoir considéré $\alpha $2-5, $\alpha $7, $\beta $2 et $\beta $4 ($\beta $3 possède le triste privilège d'être autant ignoré que $\alpha $6), on se permet des «il n'y a que» ou encore «il n'y a aucune».

Dans les faits en revanche, tout est différent. Une seule séquence existait, non publiée, et maintenant en sus de la sous-unité $\alpha $6 de rat [180], les sous-unités de poulet [4] et humaine [99] sont disponibles. La distribution anatomique était inconnue, et tant celle des ARNms [185] que celle de la protéine [136] sont maintenant connues. L'existence de récepteurs physiologiques contenant $\alpha $6 était mise en doute, on en possède maintenant des enregistrements en ovocytes de Xénopus [130] et en cellules humaines transfectées [116]. Enfin, la fonction in vivo des récepteurs contenant $\alpha $6 commence à être étudiée à l'aide de suppressions par oligonucléotides antisens et par recombinaison homologue.

Je pense que par l'utilisation de cette sous-unité dans l'établissement de phylogénies et l'étude de sa distribution dans le cerveau de rat, j'ai contribué significativement à la prise de conscience de l'existence d'$\alpha $6 au sein de la famille.

14.4 Spéculations à propos de la diversité des sous-unités

Si la création de nouveaux gènes par duplication est continue, leur transformation en pseudo-gène est tout aussi fréquente. La maintenance d'une famille multigénique nécessite une sélection positive, autrement dit, il faut que la disparition de ses membres soit délétère [240]. Le système neuro-musculaire est caractérisé par la plasticité de ses composants. L'établissement, les caractéristiques physiques et le fonctionnement des jonctions (synapses ou jonctions non synaptiques) sont supposés pouvoir s'adapter à des modifications d'activité. C'est même la base de la mise en place des structures neuro-musculaires. Il paraîtrait étonnant qu'un système si adaptable soit très sensible à une différence de conductance, d'affinité ou de constante d'isomérisation (qui peuvent être corrigés par le nombre de récepteurs, la quantité et la fréquence de vésicules libérées etc.).

Au niveau du système nerveux, les différences fonctionnelles entre $\alpha $7 et $\alpha $2,3,4,6/$\alpha $5,$\beta $3/2,414.3 sont suffisamment importantes pour que la co-existence des deux sous-familles soit «justifiée». La synapse autonome montre que les deux types de nAChR peuvent co-exister dans la même unité de transmission (voir le paragraphe 1.4). Des études théoriques ont montré qu'un tel champ récepteur composé pouvait être essentiel pour un fonctionnement optimal (i.e. sensibilité importante tout en gardant une large dynamique de réponse) [35].

Au sein des sous-familles de nAChRs hétéromériques, il existe pour les trois types de sous-unités (voir le paragraphe 7.2 pour la définition de ces types) respectivement 5 ($\alpha $1,2,3,4,6), 5 ($\beta $2,4, $\gamma$, $\delta$, $\epsilon$) et 3 ($\alpha $5, $\beta $1,3) isoformes14.4. Ces sous-unités forment des récepteurs qui, dans l'état actuel des connaissances ne fonctionnent pas en synergie. En revanche, ce qui les caractérise, c'est une extraordinaire variété de distribution dans l'espace [335,185], dans le temps [372] et en intensité (cf. le chapitre 6). La régulation d'une distribution si riche demande une machinerie de transcription très complexe, difficile à mettre en oeuvre à l'aide d'un seul promoteur. De fait, chaque gène de sous-unité comporte un promoteur (bien qu'il y ait parfois partage d'éléments de régulation comme pour $\alpha $3 et $\beta $4).

Ainsi je propose que le rôle premier de la multiplication des sous-unités analogues réside dans la multiplication des promoteurs. Cette idée a déjà été avancée dans le cadre des gènes du développement [195,358]. Les auteurs ont montré que malgré une divergence importante de séquence, les protéines homologues paired, gooseberry et gooseberry neuro avaient gardé la même fonction moléculaire. Leur rôle différent durant le développement vient uniquement de leur expression spatio-temporelle différente. Si l'on exprime l'une des protéines sous la dépendance du promoteur d'une autre (préalablement inactivée), la première remplace la seconde dans sa fonction sans problème physiologique majeur. De même les neurones nécessiteraient un récepteur nicotinique dans un neurone particulier, à un instant donné dans une quantité fixe. Les spécificités fines de pharmacologie importeraient peu et seraient contingentes.


Footnotes

... connues14.1
Le nombre d'entrée de Genbank est passé de 500 en 1983 à 2 millions en 1997, et actuellement le nombre de bases entrées par jour avoisine les 2 millions (voir le premier chapitre de [10] et les références qui y sont citées).
... mentions14.2
mis à part le fait que la terminologie sautait de 5 à 7 ...
...2,414.3
Je laisse $\alpha $9 de côté car sa physiologie est trop peu connue pour l'intégrer dans un raisonnement
... isoformes14.4
Je ne compte pas ici les épissages alternatifs qui, produits par le même gène, ne peuvent dépendre de la même théorie.

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Nicolas Le Novère
1999-06-19