La fonction d'une protéine au sein de la cellule est indissociable de sa localisation. C'est d'autant plus vrai dans le système nerveux où des cellules uniques peuvent s'étendre sur de grandes distances, et entrer en contact avec beaucoup d'autres cellules, éloignées les unes des autres. Les neurones sont de plus des cellules polarisées, possédant aux moins trois grands domaines distincts, les dendrites, le soma et l'axone. Chacun de ces domaines contient lui-même plusieurs sous-domaines. Le composant dendritique comprend plusieurs branches aux rôles parfois distincts, chaque branche pouvant être divisée en épines et tronc. L'axone, quant à lui, peut se diviser en collatérales comportant une partie pré-terminale et un bouton (ou des varicositées). Enfin, dans la membrane des neurones se trouvent des canaux ioniques et des récepteurs, dont l'activité requiert une précision absolue dans la localisation ultra-structurale. Un même récepteur influera différemment sur le comportement de la membrane si il est synaptique, péri-synaptique ou diffus extra-synaptique. Il est donc important de pouvoir localiser ces protéines mais aussi de quantifier leur expression.
De plus, chaque neurone possède une spécificité chimique au sein du réseau qui est essentielle au codage et à la transmission de l'information. Cette identité neurochimique est composée non seulement de son appareil de transmission (enzymes de biosynthèse des neurotransmetteurs par exemple) mais également de son appareil de réception, c'est-à-dire de l'ensemble des récepteurs aux neurotransmetteurs ainsi que des canaux ioniques qu'elle porte sur sa surface. La détermination de cette identité chimique est une étape essentielle dans la compréhension du fonctionnement de toute assemblée de neurones.
Ces taches sont l'objet de la neuro-anatomie chimique.
L'histologie moléculaire est une discipline formée à l'interface de la
biochimie et de la biologie moléculaire d'une part, et de l'anatomie et de
l'histologie d'autre part. Elle consiste en la détection, la localisation
et la quantification de marqueurs moléculaires. Elle s'est
particulièrement développée en neurochimie et dans les domaines annexes,
où elle prend le nom de neuro-anatomie chimique. Chaque technique de
neuro-anatomie chimique apporte des données sur son objet. Mais plus
encore, l'utilisation conjointe des différentes techniques est porteuse
d'information.
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Sur la figure 11.1, trois techniques de
neuro-anatomie chimique permettent de mettre en évidence les
caractéristiques anatomiques principales de la transmission cholinergique
à un niveau particulier du cerveau. On voit que les ARN messagers
codant pour la sous-unité 7 du récepteur nicotinique de
l'acétylcholine sont distribués de manière très similaire aux sites de
liaison de l'
-bgt. En revanche les sites de liaison de la nicotine
correspondent plutôt aux ARN messagers codant pour la sous-unité
4 (eux-mêmes présent dans un sous-ensemble des structures
exprimant la sous-unité
2). Ces différentes distributions ne
correspondent pas à l'activité de l'acétylcholine estérase, supposée
refléter l'activité cholinergique du tissu. La raison en est l'existence
d'une autre population de récepteurs de l'acétylcholine, les récepteurs
muscariniques. Les deux grandes classes de récepteurs muscariniques sont
ici révélées par la liaison de pirenzépine (M1) et de AFDX384 (M2). Un
autre exemple pourra être trouvé dans [373] où l'hybridation in situ et l'autoradiographie réceptorielle
sont combinées avec l'électro-physiologie dans des animaux transgéniques
afin d'étudier les différents types de récepteurs nicotiniques présents
dans le cerveau.
Dans la suite de ce chapitre, certaines notions pourront paraître absconses et à première vue inutiles à la compréhension des phénomènes abordés. Il n'en est rien. Les méthodes d'investigations histologiques sont trop souvent présentées comme totalement empiriques, confinant quasiment à la magie et qui plus est un peu obsolètes. Le propos est de montrer que ces méthodes, qui utilisent des outils moléculaires, obéissent aux lois chimiques et sont compréhensibles (et maîtrisables) en ces termes.
Les aspects relatifs à la dissection des tissus ne seront pas développés.
La détection d'une macromolécule biologique peut être réalisée sur un
extrait broyé de tissu, un homogénat ou bien in situ, sur un
explant de tissu, généralement (mais pas toujours) une coupe histologique
[Tableau 11.1].
Homogenat. + : plus «sensible», plus facile à quantifier. - : pas de localisation du marquage |
in situ. + : localisation du marquage. - : moins «sensible», plus difficile à quantifier |
|
---|---|---|
ARN. + : identité précise de la molécule marquée, quantification possible. - : pas d'information directe sur la quantité de protéine fonctionnelle, pas de localisation précise dans le cas des neurones |
northern-blot |
hybridation in situ |
Protéine. + : identité précise de la molécule marquée, localisation précise - : Quantification impossible |
western-blot |
immunocytochimie |
fonctionnels. + : quantification aisée, localisation précise. - : pas d'identité précise des molécules révélées |
liaison |
autoradiographie réceptorielle |
L'homogénat présente l'avantage de ne pas être limité en quantité par le vivant. En effet, on peut additionner du tissu en provenance de plusieurs organismes afin d'augmenter la quantité des molécules recherchées. Les méthodes de détection sur homogénat sont ainsi en général plus «sensibles» en ce sens que la détection d'un marqueur rare y est plus facile (en revanche la sensibilité au sens du nombre de molécules détectées par unité de masse de tissu n'en est pas augmentée). Les méthodes de détection quantitatives sont également bien mieux maîtrisées sur homogénat. L'inconvénient majeur des homogénats est bien entendu l'absence de localisation fine du marqueur, la précision de la détection étant limitée par la taille de l'échantillon dissécable (je laisserai de côté les méthodes de PCR unicellulaires qui, à bien des égards, se démarquent des autres méthodes de neuro-anatomie chimique et qui nécessiteraient une discussion à part entière).
Les méthodes de neuro-anatomie chimique in situ permettent une localisation fine de la molécule recherchée. Cette localisation peut parfois atteindre le niveau sub-cellulaire en microscopie optique et le niveau moléculaire en microscopie électronique. En revanche, elles sont en général moins sensibles, et surtout difficilement quantifiables.
La détection des ARN messagers codant pour des protéines permet d'observer l'état d'activité d'un gène. Sur homogénat, la reverse PCR permet d'amplifier sélectivement un produit de transcription, tandis que le northern-blot et la protection contre ribonucléases sont fondés sur des hybridations entre l'ARN messager cible et des sondes complémentaires radioactives. On appelle hybridation la formation de duplex entre deux acides nucléiques monocaténaires de séquences complémentaires. Sur explant de tissu, l'hybridation in situ permet de détecter les transcrits grâce à des désoxy-oligonucléotides ou bien des ARNs antisens. Les sondes peuvent être soit radio-marquées soit marquées par des groupements chimiques permettant leur détection ultérieure. Ces méthodes ont l'avantage d'être spécifiques, et le résultat est aisément quantifiable. En revanche, le taux d'expression d'un ARN messager n'est jamais un indicateur absolu de l'expression de la protéine, et dans le cas particulier du neurone, l'ARN, localisé dans le soma, ne permet pas d'inférer la position finale de la protéine.
Les outils immunologiques permettent de détecter spécifiquement des protéines données. Le western-blot permet de révéler des protéines dans un homogénat tissulaire, tandis que l'immuno-cytochimie (resp. immuno-histochimie) rend possible la localisation des protéines au niveau cellulaire (resp. tissulaire). Ces méthodes présentent l'avantage d'être spécifiques (moyennant un nombre de contrôles non négligeable) et de permettre la détermination de la localisation finale de la protéine d'intérêt. En revanche, leur résultat est difficilement quantifiable, particulièrement en ce qui concerne les variantes histologiques.
Certaines protéines peuvent être localisées par leur fonction. L'activité des enzymes peut être observée par des substances exogènes, généralement analogues du substrat, et qui produisent un signal quand l'enzyme les a transformées. Mais dans ce domaine, la méthode de choix est la liaison de molécules radioactives, ligands, bloquants, substrats etc. sur les protéines. Les avantages majeurs de ces techniques sont qu'elles sont facilement quantifiables et qu'elles renseignent sur la localisation finale des protéines marquées. En revanche, un inconvénient non négligeable, est qu'elles ne sont pas spécifiques, une molécule se liant généralement à plusieurs protéines, avec des affinités différentes. Dans le cas de cibles polymériques, où l'affinité dépend de l'identité de plusieurs des membres, l'identification précise des intervenants devient quasiment impossible.
Ce chapitre a pour objet les méthodes de localisation sur explant, en l'occurrence sur coupe de tissu. Nous nous focaliserons plus précisément sur l'autoradiographie réceptorielle et l'hybridation in situ par oligonucléotides, deux approches qui, si elles se donnent pour sujet des objets différents (l'ARN messager et la protéine fonctionnelle), présentent des similitudes importantes au niveau fondamental et méthodologique.
L'autoradiographie réceptorielle détecte des sites de liaison généralement formés par des (glyco)protéines alors que l'hybridation in situ détecte des acides nucléiques. Cette différence va intervenir dans les procédures expérimentales employées pour le marquage mais également dans l'interprétation des résultats. Les techniques d'hybridation in situ sont plus agressives envers le tissu que les techniques d'autoradiographie réceptorielle. Les temps d'incubations comme les temps de lavages sont plus importants11.1 et les conditions chimiques et de température plus marquées. En revanche les acides nucléiques sont beaucoup plus résistants que les protéines à la plupart des traitements physiques, et l'on peut «fixer» les coupes avant de réaliser une hybridation in situ.
De plus, les renseignements quantitatifs apportés par une autoradiographie réceptorielle et ceux apportés par une hybridation in situ sont d'une nature différente. Il existe trois types de quantification. Lorsqu'on peut appréhender la quantité réelle de molécules révélées, la quantification est dite absolue. C'est le cas de l'autoradiographie réceptorielle, où l'on peut déterminer (cf. le paragraphe 11.4.1) la quantité de protéines marquée par mm2 ou par mg de tissu. Lorsque la quantité absolue de molécules révélée est inaccessible mais que l'on connaît la loi de variation du signal en fonction de la quantité de molécules marquées (linéaire, logarithmique ...), on peut rapporter le niveau de marquage ou la variation du niveau de marquage à une molécule témoin donnée. La quantification est alors dite relative. Enfin, si même la loi de variation du signal en fonction du marquage est inconnue, on parle de mesure semi-quantitative (souvent exprimée à l'aide de signes + et -).
L'autoradiographie réceptorielle peut être grossièrement définie comme une technique visant à localiser des radio-isotopes fixés sur un spécimen solide en utilisant une couche d'émulsion photographique sensible aux radiations. En d'autres termes, l'autoradiographie réceptorielle est une combinaison de liaison de radio-ligand et de techniques d'autoradiographie.
Les tissus à marquer doivent être congelés rapidement, par exemple avec de l'azote liquide, ou encore mieux, avec de la poudre de carbo-glace (l'azote liquide peut provoquer des fractures dans les échantillons). Il ne faut surtout pas les fixer. En effet il faut conserver les protéines dans l'état natif. Après congélation la règle est de toujours monter en température, jamais l'inverse. Une fois les coupes réalisées, il faut les sécher (ne pas utiliser de plaque chauffante qui risquerait de dénaturer les protéines). On peut alors les conserver dans des boites étanches (se trouvant déjà à une température inférieure à zéro, c'est-à-dire en air sec) durant quelques jours avant utilisation. Cette conservation ne peut dépasser la semaine à cause de phénomènes de sublimation pouvant endommager les tissus. Il faut laisser les coupes dans les boites étanches durant la décongélation précédant la liaison, ce, afin d'éviter la condensation.
L'autoradiographie réceptorielle repose sur les bases théoriques les plus simples de la liaison d'un
ligand sur un site récepteur. On considère qu'il n'y a qu'un seul type de
site récepteur et que l'équilibre entre la liaison et le départ du ligand
est atteint. Cette liaison suit la loi d'action de masse.
Cette équation décrit une fonction hyperbolique dont la courbe est appelée
l'isotherme de LANGMUIR, représentée sur la figure
11.2. Un exemple réel de liaison de ligand radio-marqué est
présenté sur la figure 11.3.
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Tout le signal fourni par une expérience de liaison n'est pas du signal spécifique (sp). Une autre composante est due au bruit de fond (ns). Le rapport sp/ns dépend du radio-nucléide, du ligand, des tampons utilisés etc. Il dépend également de la densité du tissu en protéine et pourra varier selon la structure considérée. La quantité de bruit de fond est mesurée par incubation en présence d'un excès de ligand non-marqué. Il évolue de manière linéaire en fonction de la concentration en radio-nucléide. Alors que les sites spécifiques ont une haute affinité et sont en quantité limitée, les sites de fixation non-spécifiques sont considérés comme ayant une affinité faible et étant en quantité illimitée. Une incubation avec du ligand non-marqué va donc déplacer préférentiellement les ligands radio-marqués fixés sur les sites spécifiques. Il leur sera impossible de déplacer les ligands radio-marqués fixés sur les sites non-spécifiques.
On ne peut pas faire de l'autoradiographie réceptorielle avec tous les ligands. Il faut que leur affinité pour les récepteurs soit telle que l'étape de lavage ne supprime pas tout le signal. Plus précisément la constante de dissociation koff doit être très faible11.2.
Une pré-incubation optionnelle peut permettre de retirer le ligand endogène préalablement à l'expérience de liaison. Elle n'est pas nécessaire pour toutes les expériences de liaison, particulièrement si le ligand exogène a une affinité très supérieure à celle de l'endogène. Une liste de protocoles pour de nombreux ligands peut être trouvée dans [300].
Il existe différentes méthodes d'hybridation in situ, chacune présentant des avantages et des inconvénients [Table 11.2]. Seules les méthodes largement utilisées seront présentées par la suite. Le lecteur pourra trouver des discussions plus détaillées des protocoles dans des articles spécialisés[246].
Radioactif |
«froid» |
|
Ribo-sondes |
+ : seuil de détection faible, densitométrie possible. - : expérience moins aisée, besoin du plasmide, in toto impossible, spécificité plus difficile à démontrer, révélation lente, morphométrie difficile |
+ : morphométrie possible, in toto possible. - : expérience moins aisée, besoin du plasmide, seuil de détection haut, spécificité plus difficile à démontrer, densitométrie difficile |
Oligonucleotides |
+ : expérience facile et rapide, pas besoin de plasmide, spécificité plus facile à démontrer, densitométrie possible. - : seuil de détection moyen, in toto impossible, révélation lente, morphométrie difficile |
+ : expérience facile et rapide, pas besoin de plasmide, spécificité plus facile à démontrer, révélation rapide, identification cellulaire aisée, morphométrie possible, in toto possible. - : seuil de détection très haut, densitométrie difficile |
La nature de la sonde est une première source de diversité. On peut effectuer des hybridation in situ à l'aide de sondes ARN - on forme alors des homo-duplex - ou bien on peut les réaliser avec des sondes ADN - on forme alors des hétéro-duplex.
Les sondes ARN sont en général assez longues (de quelques centaines de nucléotides à plusieurs milliers), ce qui favorise la sensibilité mais au détriment de la spécificité, particulièrement lorsqu'il s'agit de familles multigéniques (En effet une sonde longue peut se lier à un transcrit en dépit d'un certain nombre de mésappariements). Elles sont synthétisées à partir de plasmides par transcription in vitro, ce qui permet un marquage interne accroissant encore la sensibilité.
En revanche les sondes ADN sont assez courtes (oligo-désoxynucléotides de quelques dizaines de nucléotides), ce qui favorise la spécificité mais au détriment de la sensibilité. De plus les oligonucléotides sont généralement marqués uniquement sur l'extrémité 3', ce qui réduit l'intensité spécifique. On peut utiliser plusieurs oligonucléotides différents se liant au même messager en tandem afin d'accroître le signal.
La petite taille des oligonucléotides et leur forte sensibilité aux mésappariements (cf. paragraphe 11.3.2) permet de les choisir afin de discriminer entre gènes orthologues (acétylcholine estérases humaine et murine dans [17]) ou gènes paralogues (sous-unités du récepteur nicotinique dans [185]).
La révélation des résultats d'hybridation in situ s'effectue selon deux
modalités principales, l'autoradiographie et les techniques dites
«froides». Dans le premier cas on marque les sondes avec des
nucléotides radioactifs (UTP pour les sondes
ARN, d
ATP pour les sondes ADN). Les
radionucléides généralement utilisés sont le
33P et le
35S. Ce
marquage est réalisé durant la synthèse pour les sondes ARN
(marquage interne) et après la synthèse (juste avant l'expérience) pour
les oligo-désoxynucléotides (marquage en 3'). Les sondes ``froides'' sont
elles marquées avec des nucléotides modifiés (portant par exemple une
biotine) qui pourront être détectés avec des anticorps appropriés (ou
directement par un système streptavidine-biotine couplé à un révélateur).
Les révélations non radioactives sont rapides, typiquement de l'ordre de
quelques heures. Le marquage obtenu dessinant la cellule, il est possible
de faire des études de morphologie sur le tissu marqué. De plus, on peut
marquer des tissus entiers, non coupés (explant, organes, embryons et
petits animaux). Enfin, une sonde marquée se conserve très longtemps. En
revanche, la sensibilité de telles sondes est très faible, ce qui interdit
leur usage pour détecter des transcrits peu exprimés. De plus, la
révélation passant par une étape immunologique, la quantification
densitométrique du signal est difficile. Il faut de nombreux contrôles,
notamment afin de maîtriser la linéarité de la réponse. Toutefois la
morphométrie reste aisée. Les sondes radioactives sont plus sensibles que
les sondes froides. Comme on révèle directement les sondes, les conditions
d'expériences sont beaucoup plus reproductibles que dans le cas des sondes
froides. Enfin, l'absence d'intermédiaire rend possible les
semi-quantifications et les quantifications relatives (les quantifications
absolues restant difficiles). En revanche, les sondes ne se gardent pas
une fois marquées (à cause de la décroissance radioactive). On ne peut pas
marquer de tissus entiers.
Par la suite nous ne développerons qu'une seule des méthodes présentés, l'hybridation in situ à l'aide d'oligo-désoxyribonucléotides radioactifs. Plusieurs des concepts développés seront applicables aux autres méthodes (notamment ce qui concerne la thermodynamique des duplex d'acides nucléiques). L'avantage de la méthode développée est qu'elle est simple à mettre en oeuvre, très reproductible, et qu'elle se prête bien à la quantification.
L'hybridation in situ peut être décrite comme un phénomène pharmacologique. Mais si le
cas des sondes ARN, souvent longues de plusieurs centaines de
nucléotides, s'avère difficile à traiter (notamment à cause des
hybridations partielles et des hybridations s'initiant à différents sites
de manière concomitante), l'hybridation avec des oligonucléotides peut
être décrite de manière phénoménologique comme la liaison d'un ligand
-- l'oligonucléotide -- sur son récepteur
-- l'ARN messager. La méthode a été mise au point en parallèle par
plusieurs équipes [324,364,29]. Une description
détaillée des protocoles peut être trouvée dans
[355,354].
Les données pharmacologiques telles que le KD et le Bmax peuvent
être obtenues par des expériences de saturation, où l'on réalise des
hybridations in situ avec des concentrations croissantes
d'oligonucléotide marqué comme représenté sur la figure 11.4. Un
déplacement par un excès d'oligonucléotide non marqué durant l'hybridation
permet de déterminer le marquage non-spécifique. Ce déplacement devrait du
reste être systématiquement utilisé comme contrôle en hybridation in situ
[372].
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Une partie du marquage peut être produit par des liaisons non-spécifiques (ns), c'est-à dire par des liaisons non-désirées sur des sites de faible affinité -- par exemple sur des séquences ressemblant à la cible tout en n'étant pas 100 % identique. Le rapport sp/ns ne dépend normalement pas des conditions annexes de l'expérience comme le rapport signal/bruit. En revanche il sera très sensible aux concentrations de radio-ligand ainsi qu'aux températures d'hybridation et de lavage. Il évolue également selon une courbe hyperbolique. Une autre composante est due au bruit de fond (bf). Le rapport sp/bf dépend du radionucléide, de la séquence de la sonde, des tampons utilisés etc. Il dépend également de la densité cellulaire du tissu et pourra varier selon la structure considérée. Il évolue de manière linéaire en fonction de la concentration en oligonucléotide. Une pré-incubation permet de diminuer fortement ce signal parasite. Il peut être déterminé par l'excès d'oligonucléotide non marqué.
Le choix de la concentration de l'oligonucléotide marqué obéit aux mêmes contraintes que pour l'autoradiographie réceptorielle. Elle doit être suffisante pour que le signal soit bon, mais inférieure aux concentrations saturantes (particulièrement si l'on veut détecter des différences de marquage). Une concentration possible est, comme pour l'autoradiographie réceptorielle, 4 x Kd.
Le choix des oligonucléotides est soumis à un certain nombre de
contraintes. Il est évident qu'il faut prêter attention aux
reconnaissances croisées éventuelles. Dans le cas de familles
multigéniques, il faut choisir les sondes dans les régions variables des
séquences. De plus il faut faire une recherche dans les banques de données
de génomes pour détecter d'éventuelles séquences similaires, par exemple
avec le programme FASTA [252]. Il faut
éviter les séquences répétées, comme par exemple les poly-T (qui se
lieraient aux poly-A terminant les ARN messagers), ou bien les
répétitions de triplets, qui sont assez fréquentes dans les séquences
codantes. La longueur des oligonucléotides doit être aux alentours de 45
nucléotides. En effet, la température de lavage serait trop basse
- trop proche des températures d'hybridation et peu discriminante -
si l'oligonucléotide était très court, et trop haute - donc
difficile à atteindre11.3
- si l'oligonucléotide était très long. D'autre part un
oligonucléotide trop court va plus facilement se lier à des cibles
non-spécifiques. La probabilité de trouver une séquence de n nucléotides
de longueur ayant k nucléotides en commun avec une sonde est:
L'oligonucléotide ne doit pas pouvoir former de structures secondaires et ne doit pas être complémentaire de zones de structures secondaires potentielles de l'ARNm. Le programme STEMLOOP de GCG [85] permet d'éviter cet écueil. Si plusieurs sondes sont utilisées, il faut vérifier qu'il n'existe pas d'hybridation possible entre les sondes (segments complémentaires) ainsi que de masquages de site (segments identiques).
Une pré-hybridation peut améliorer nettement le rapport signal sur bruit du résultat. Il suffit de pré-incuber les tissus avec les milieux d'hybridation sans sonde. Ces milieux contiennent des acides nucléiques divers (ADN de poisson, ARNt, poly-adénosine) qui vont saturer les sites de fixation non spécifiques. Tout le marquage non-spécifique n'est toutefois pas supprimé par cette procédure. Par exemple les sondes marquées au 33P se fixent massivement aux cartilages. Ce signal parasite est résistant aux pré-hybridations.
L'hybridation in situ repose sur l'hybridation des acides nucléiques. Ce phénomène
moléculaire peut s'illustrer par un mécanisme de fermeture-éclair.
L'hybridation s'initie à un certain endroit puis se propage le long du
duplex. Le paramètre qui va réguler cette propagation ne va pas être la
paire de nucléotides complémentaires
-- A/T ou G/C -- comme on pourrait intuitivement le penser, mais
l'identité des nucléotides voisins sur une même chaîne, les
nearest-neighbors (revue dans [348,289]).
Ces couples de nucléotides voisins sont appelés des paires de
CRICK. Il y a 16 paires de CRICK possibles dans le cas
des hétéro-duplex ARN/ADN [313] (et seulement dix
dans le cas d'homo-duplex). La thermodynamique locale de la «fermeture
éclair» est simple puisque linéaire :
Les homo-duplex d'ARN sont plus stables que les hétéro-duplex.
Par exemple,
La température de fusion d'un duplex, c'est-à-dire la température à
laquelle, à l'équilibre, 50 % des duplex possibles sont formés,
dépend des paramètres thermodynamiques propres au duplex ainsi que de la
concentration en sel (s) et en sonde supposée en excès (c)
[348].
Si la taille des sondes est importante (typiquement le cas des
ribo-sondes), on utilise des calculs approchés basés sur le taux
de GC et la taille des duplex [348]. La philosophie
sous-jacente est que la longueur des duplex formés est suffisamment
importante pour que la répartition des paires de CRICK soit
statistique et donc à peu près constante quelle que soit la
séquence (en revanche, cela ne veut pas dire que toutes les paires de
CRICK soient en proportions égales, pensez là encore à la
sous-représentation de la paire CpG ...).
Plusieurs programmes permettent de calculer la température de fusion d'un
duplex d'acides nucléiques. Le programme MELTING (décrit au
chapitre A) peut être télé-chargé à l'URL:
http://www.pasteur.fr/units/neubiomol/softwares.html, un serveur
permettant une utilisation en ligne est disponible à
http://bioweb.pasteur.fr/seqanal/interfaces/melting.html
Il est parfois difficile d'adapter la température d'hybridation à chaque
expérience d'hybridation in situ. Une solution est de contrôler la stringence du lavage
plutôt que celle de l'hybridation. Généralement un lavage est composé de
plusieurs bains successifs de durée variable, réalisés dans des solutions
à la température et à la salinité différente. Le bain le plus stringent
doit être le plus contrôlé. Le contrôle est ici cinétique et non
thermodynamique, il ne s'agit plus d'un équilibre. La durée d'un
lavage sera donc importante. Le paramètre utilisé est la température de
dénaturation (Td). Elle est reliée à la température de fusion (Tm)
comme suit:
Après les différentes étapes de lavage, le marquage est révélé puis quantifié. Nous nous attacherons plus particulièrement dans les paragraphes suivants aux méthodes de révélation utilisées dans les hybridation in situ utilisant des sondes radioactives.
Les marquages «froid» ne peuvent aisément être évalués que de manière morphométrique. On peut compter les cellules marquées et les identifier. On peut plus difficilement déterminer le «niveau de marquage». La quantification densitométrique («niveaux de marquage») du marquage peut en revanche être réalisée plus aisément pour les marquages radioactifs. On emploie généralement pour cela des films et des émulsions photographiques.
Les particules radioactives (particules , rayons
et rayons
X) provenant du radio-isotope convertissent le bromure d'argent contenu
dans l'émulsion détecteur en argent métallique qui donne une image visible
après un processus de développement et de fixation. Il faut alors
numériser l'image obtenue
- avec un scanner ou une caméra CCD - pour quantifier le
signal.
Récemment les radio-imagers ont fait leur apparition, permettant une quantification plus facile et plus fiable du signal, mais présentant encore une résolution limitée.
Les différentes déclinaisons d'appareil de mesure et leur utilisation ne seront pas développées ici. On fait l'hypothèse que l'on est dans une situation idéale où tout a été parfaitement calibré et que le signal mesuré correspond exactement au marquage révélé (ce qui ne veut pas dire que ce dernier soit identique au marquage réel).
Les films photographiques ne possèdent pas une réponse linéaire. En fait,
ils commencent à réagir quand ils ont reçu une certaine quantité de
rayonnement. De plus, lorsqu'ils ont reçu une quantité de rayonnement
importante, ils commencent à saturer. En conséquence, la courbe décrivant
le marquage en fonction du rayonnement reçu est une courbe sigmoïde, dite
logistique[18], voir figure 11.5.
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Les différents types de films auront des seuils de réponse et de saturation variables. Leur contraste sera également spécifique. Il est nécessaire de trouver les films où MGVbl est faible et MGVsat est fort. La valeur de p dépend de ce que l'on veut mesurer. Si p est important, le film sera bien adapté pour mesurer des changements d'expression, c'est-à-dire des marquages peu différents. En revanche, une faible valeur de p permettra de détecter des marquages très différents, et sera donc plus adaptée à des expériences de cartographie. Les films recommandés pour le tritium sont en général très sensibles et bien adaptés à l'hybridation in situ.
Le film non exposé n'est pas blanc, et le film saturé n'est pas noir. Une
normalisation peut donc être nécessaire avant d'effectuer les mesures (il
est préférable d'effectuer cette normalisation au moment de l'acquisition
de l'image). Il est important de vérifier que l'on se trouve bien dans
l'intervalle de réponse linéaire du film avant de mesurer ou de comparer
quelque marquage que ce soit. On dispose pour cela de plusieurs outils.
Les standards de radioactivité (micro-scales) sont des échelles
d'échantillons dont le rapport d'activité est fixe (typiquement chacun est
deux fois plus actif que le précédent). On peut fabriquer ses propres
standards durant l'expérience par dilutions successives de la sonde. Si
l'on veut se servir de ces standards non seulement pour vérifier la
linéarité du film, mais aussi pour établir un calibrage niveaux de
gris
radio-activité, il faut prendre en compte le
phénomène de quenching. Il s'agit de l'absorption de la
radio-activité par le tissu lui-même. Une manière d'incorporer ce
phénomène dans les standards est d'utiliser des pâtes de tissu. Il s'agit
de tissu homogénéisé et mélangé à la radioactivité. En fait le
quenching varie selon le tissu (principalement à cause du rapport
protéines/lipides). Des tables de corrections ont été établies
[125,147,370].
Comme l'indique l'équation précédente, le niveau de gris moyen ne
représente pas directement la quantité de molécules marquée. On utilise
plutôt la notion de densité optique, OD.
Il faut se rappeler qu'en informatique (sauf exception) le noir est codé
par la valeur 0, tandis que le blanc est codé par une valeur supérieure à
0 (variable selon le format de l'image). La valeur du niveau de gris
variera donc inversement à la valeur des pixels (les éléments d'une image
numérique).
Les durées d'exposition des films varient selon les radio-nucléides et les molécules révélées. Typiquement les ordres de grandeurs sont le jour pour l'iode 125, la semaine pour le soufre 35 et le phosphore 33 et le mois pour le tritium.
Si l'on veut comparer quantitativement des marquages, il faut corriger les valeurs d'OD spécifique obtenues pour l'activité[185] (facteur S). Ce facteur prend en compte les différences de marquage radioactif entre les sondes (par exemple leur activité spécifique) et le temps d'exposition des tissus au film autoradiographique. Par exemple, dans une certaine expérience, la sonde A peut donner un signal double de celui de la sonde B. Cependant, si SA est égal à 4SB, la quantité réelle de sonde B fixée est double de celle de sonde A.
Entre t1 et t2, la quantité de radioactivité reçue est:
On pourra alors comparer
et
Cette
correction est peu importante pour le tritium, dont la décroissance
radioactive est plus lente. On peut se contenter de normaliser le signal
par rapport à l'activité spécifique de la sonde.
Finalement, des calibrages adéquats permettent de transformer la densité optique (corrigée pour le quenching) en quantité de sonde fixée (oligonucléotide si c'est de l'hybridation in situ, ligand si c'est de l'autoradiographie réceptorielle) : en mole/mm2 de tissu. Dans le cas d'une autoradiographie au tritium, il est possible de franchir une étape supplémentaire. Seuls, les cinq premiers µm de tissu au contact du film vont l'impressionner. Le volume de tissu effectivement marqué évolue donc en fonction de la surface, et on connaît la quantité de protéine par unité de surface. On peut donc en déduire la quantité de sonde fixée par mg de tissu.
Selon que la structure étudiée est connexe ou discontinue, on va effectuer
deux types de mesures. Sur une structure marquée de manière homogène --
par exemple le thalamus par la sous-unité 4 du nAChR sur la
figure 11.1 -- on peut se contenter de mesurer le gris moyen
dans une région d'intérêt (ROI pour region of interest). En
revanche, quand le marquage est dispersé dans des cellules, ou des
régions, non jointives - par exemple les cellules dopaminergiques de
l'aire tegmentale ventrale (cf. chapitre 12)
- il faut utiliser un protocole plus complexe
pour définir les ROI. Il faut d'abord établir un seuil pour isoler les
zones marquées, puis les associer afin de réaliser la mesure.
Afin d'atteindre une meilleure résolution, on peut utiliser des émulsions
photographiques que l'on coule directement sur le tissu marqué. On peut
alors localiser les grains d'argent directement dans les cellules. Les
émulsions photographiques sont extrêmement sensibles à tous les types de
rayonnement, mais également aux chocs et à la température. De plus, elles
sont périssables, il faut donc renouveler régulièrement les stocks. Ces
caractéristiques rendent leur manipulation délicate.
Les durées d'exposition aux émulsions sont plus importantes que pour les
films. Il faut compter au minimum deux fois plus de temps pour obtenir un
signal acceptable, un résultat correct nécessitant plutôt 3 à 4 fois plus
de temps. Le bruit de fond augmente au court du temps. Il faut donc
prendre garde aux surexpositions. Du reste, la décroissance radioactive
fait qu'au bout de 110 jours pour le 33P et 380 pour le
35S, on
a collecté 95 % du signal.
Le signal peut être quantifié en nombre de grains par unité de surface
quand c'est possible (par exemple sur la cellule de la figure
11.6).
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